La transition d'un rôle de contributeur de projet à celui de chef de projet est un pas important dans une carrière qui exige un changement de compétences, de mentalité et de responsabilités quotidiennes. C'est parfaitement illustré par la gestion (parfois bonne, souvent incomplète, voire carrément mauvaise) des parties prenantes. Ce papier en explore les raisons.
Pour camper une situation suffisamment claire, il faut partir de la transition de contributeur à chef de projet. Passer d'un rôle axé sur les contributions individuelles à un rôle centré sur le leadership et la coordination est intrinsèquement difficile. En tant que contributeurs, les individus passent la plupart de leur temps à résoudre des problèmes, à travailler avec des sujets généralement délimités (sous livrables). En tant que chefs de projet, l'accent se déplace vers la gestion des personnes, la communication et la planification des décisions, des actions. Ce changement nécessite un ensemble différent de compétences — interpersonnelles — que de nombreux nouveaux chefs de projet n'ont pas encore développées. La démonstration la plus évidente est la mauvaise gestion des parties prenantes. Ces dernières — y compris les membres de l'équipe, les sponsors, les clients et les utilisateurs finaux — sont bien entendu essentielles au succès d'un projet. Gérer leurs attentes, les garder engagées et communiquer efficacement sont des tâches que les nouveaux chefs de projet trouvent souvent trop complexes. Considérons par ex. un développeur de logiciels promu pour diriger un nouveau projet de développement d'application. Habitué au codage et à la résolution de problèmes, il pourrait trouver difficile de déléguer des tâches qu'il sait pouvoir effectuer plus efficacement. Cette réticence non seulement le surcharge, mais étouffe également le développement et la stabilisation de l'équipe projet. Son manque de compétences - ou d'appétence- à la gestion des des parties prenantes, entraîne au minimum un désalignement des attentes voire un éventuel déraillement du projet.
Le parcours professionnel des chefs de projet et leur approche du sujet semblent être les causes les plus évidentes. La grande majorité des chefs de projet viennent de milieux techniques — ingénierie, informatique, finance — en raison de leur expertise dans ces domaines évidemment critiques pour les projets. Bien que cette expertise technique soit précieuse, elle n'est pas synonyme de gestion efficace des parties prenantes. Les chefs de projet à tendance technique, privilégient les tâches et les livrables par rapport aux personnes et aux relations. Ils manquent de formation en compétences interpersonnelles telles que la communication, la négociation et la résolution de conflits. Leur identité personnelle est souvent étroitement liée à leurs capacités techniques, ce qui rend difficile pour eux de se détacher de ce qui s'y fait (ou devrait se faire). La réticence (parfois la peur) du face à face rend encore plus difficile cet engagement dans la relation. Ainsi, un ingénieur qui excelle dans la conception de systèmes complexes pourrait avoir du mal à communiquer l'avancement du projet à des parties prenantes non techniques : mal à l'aise avec la vulgarisation des notions, il estime qu'il ne restitue pas la vérité. Du coté des parties prenantes, son comportement provoque confusion et insatisfaction. Si on quitte ce côté d'ambassadeur du projet, mal maîtrisé, notre ingénieur, qui sait faire, risque également de micromanager son équipe, inhibant l'autonomie et l'innovation.
Le constat va au-delà du parcours professionnel : l'approche globale de la gestion du projet exacerbe la mauvaise gestion des parties prenantes. Cela inclut un manque de vision stratégique, l'échec à identifier les parties prenantes, une mauvaise gestion de leur implication et une communication insuffisante.
De nombreux chefs de projet plutôt analytiques et dénués de sens politique, commencent des projets sans une vision stratégique claire et partagée entre eux et le sponsor du projet (pour ne citer que cette partie prenante). Sans une feuille de route bien définie et mutuellement convenue, les parties prenantes se sentent déconnectées de l'objectif du projet. La conséquence directe est une diminution de leur engagement et de leur adhésion qui peut alors muer en opposition. Encore plus difficile à gérer évidemment. Imaginez un lancement de nouveau produit sans s'aligner sur les marchés cibles (représentées par des parties prenantes comme les directions commerciales des segments de marchés ou directement les clients dans le cas de co-construction), les fonctionnalités clés et/ou les indicateurs de succès. Il conduira à un produit qui ne répondra pas aux besoins desdits clients ou aux objectifs commerciaux. Ce désalignement gaspille des ressources et érode la confiance des parties prenantes.
Une gestion efficace de ces parties prenantes nécessite d'identifier qui en sont les acteurs clés et de comprendre leur influence, leurs besoins et leurs attentes. Ne pas mener cette analyse au début du projet signifie ne pas savoir sur qui se concentrer ou comment équilibrer les intérêts concurrents. Prenons le cas d'un projet de construction, négliger ces 5 voisins du site en tant que partie prenante peut entraîner une résistance à laquelle se rallient d'autres acteurs, des manifestations ou des défis juridiques qui retardent ou arrêtent le projet. Si l'identification est correctement effectuée, leur implication tardive conduit encore vers une résistance et/ou un désengagement, surtout si elles se sentent exclues des décisions critiques qui façonnent la trajectoire du projet. À l'inverse, sur-impliquer ces parties prenantes sans rôles clairs peut interférer avec les processus de prise de décision, causer des retards et créer une complexité supplémentaire.C'est ce qui arrive lors que sponsor (membre du Comité exécutif ;) est fan du projet et micromanage, sapant ainsi l'autorité du chef de projet, embrouillant les membres de l'équipe et diluant la responsabilité. Tout à leur recherche de contributeurs et de premières esquisses de la planification, de nombreux chefs de projet n'établissent pas un plan de communication solide au début du projet. Cette absence autorise d'emblée des dérives : malentendus, attentes désalignées et … frustration. A cet égard, peu de chefs de projet maîtrisent l'art de la communication bidirectionnelle — à la fois influencer les parties prenantes (gestion DES parties prenantes) mais être également ouverts à leur influence (gestion POUR les parties prenantes). Les transmissions de rapports d'état hebdomadaires (communication à sens unique) sont généralement effectués mais les chefs de projet ne prennent (n'ont) pas le temps de solliciter des commentaires permettant de détecter les préoccupations des parties prenantes. D'où l'accumulation de contrariétés qui se transforment en problème majeur. D'autres chefs de projet établissent des canaux pour un dialogue régulier et ouvert : réunions avec les parties prenantes, sessions de retour d'information voire animation de plateformes collaboratives où les idées et les préoccupations peuvent être partagées et traitées rapidement.
En développant des compétences interpersonnelles, en adoptant une vision stratégique, en identifiant et en impliquant de manière appropriée les parties prenantes et en établissant des plans de communication efficaces à double sens, les chefs de projet peuvent surmonter ces défis. C'est complexe mais essentiel pour le succès du projet, le développement personnel du chef de projet et l'effort collaboratif qui, seul, permettra de finir le projet !
Erwan Hernot, Associé ClavaConsulting, membre de ScoRH
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