L’ère numérique suppose d’affronter la complexité. C’est à dire la difficulté à prévoir la prochaine disruption. Dans ce contexte, la notion de leadership est totalement à repenser : il y a maintenant trop de données, d’information et de changements pour une configuration de « un leader vs des suiveurs ». C’est plutôt « un leader vs des acteurs » qui s'imposera.
Le flot de données et la manière dont elles sont exploitées, changent l’essence du leadership et la façon dont les décisions sont prises. Le leader de l’ère bureaucratique a déjà accès à de puissants systèmes d’information mais les données ne sont pas forcément partagées. Il s’épanouit à l’abri de processus, pensés par une élite pour supprimer l’incertitude et sécuriser des pratiques. Il accorde plus d’importance au modèle opérationnel actuel garant d’une capacité à générer de la valeur qu’à l’exploration de nouveaux modèles. Il a acquis sa légitimité par sa maîtrise du métier et son expérience qui est souvent une répétition, à quelques variantes, près des mêmes situations. Il tient son autorité de son titre et de son pouvoir hiérarchique. Sa communication est formelle et sa vision est fixe : il sait le chemin vers la Terre Promise (qui existe dans un monde prévisible). Sa devise est “ Chacun m’écoute et je mesure ma valeur par le nombre de mes collaborateurs”. Ce n’est plus pertinent. Certes, les entreprises "digital natives" sont médiatisées par leurs leaders. Mais à y regarder de près, ce ne sont pas ces dirigeants qui apportent le plus de valeur ajoutée mais les idées qu’ils ont prônées : exploiter les données à tous les niveaux et mettre sur pied des équipes autonomes avec des objectifs clairs et simples car centrés sur le client. Une petite équipe dirigeante ne peut pas gérer seule la complexité même avec les meilleurs indicateurs. Ces indicateurs ne peuvent donner qu'une approximation conceptualisée d’une réalité. Or, l’environnement mute trop vite et trop profondément, nécessitant des ajustements rapides et décisifs.
Plus le système est complexe et moins on le contrôle
Certains esprits éclairés estiment alors que les managers doivent perdre l’illusion du contrôle total en univers clos. Depuis des décennies, on fait ainsi remplir des formulaires de reportings qui deviennent incongrus quand on cherche à améliorer l’agilité des entreprises face à l’inconnu. Les injonctions paradoxales pullulent : “Pensez hors du cadre mais restez dans les champs de saisie du progiciel quand même”. A l’inverse, le collaboratif, la co construction, l’expérimentation doivent se traduire dans la gouvernance et le leadership. Pour être agile, il faut les distribuer au plus bas niveau possible, y promouvoir l’initiative et responsabiliser les managers intermédiaires, élever significativement leur niveau d’analyse des données, leur capacité à engager le processus de décision adapté à la situation qu’ils rencontrent et leurs compétences relationnelles et humaines. Au delà, contrôler le système qu’est l’entreprise, suppose une diffusion de principes simples intégrés par chacun et compris par tous. Ça commence par bâtir une culture dont le cœur est le projet et la personne (employé ou client) plus que le process. Chez chaque acteur de l’entreprise, émerge un intérêt supérieur commun (le client) qui se communique, se partage, évolue grâce au travail en réseau.
Le leader, un animateur qui délègue
Le déclencheur de cette transformation est le leader. Il tire bien entendu sa légitimité de sa maîtrise métier, de son expertise mais aussi de sa capacité à douter, à questionner (le chemin vers la Terre Promise s’est considérablement obscurci), à susciter l’intelligence collective. Son autorité vient de son efficacité dans son apport aux autres. Ce qui compte, c’est sa capacité à faire et à faciliter le pouvoir de faire des autres. Sa communication est tout terrain (à l’aise en face à face et maîtrisant parfaitement les outils technologiques). Sa vision est souple : il facilite l’adaptation en donnant du sens aux changements constants. Sa devise est : “Accompagner chacun à contribuer et voir son effort valorisé.” Il délègue tout ce qu’il peut aux équipes y compris le contrôle des actions qu’elles entreprennent. Il les encourage à décider parce qu’elles ont les meilleures informations. Ainsi le contrôle global du système redevient possible. A la limite, un bon leader prend peu de décisions. Il est au service des équipes qu’il a responsabilisées.
A l’ère numérique, ce n’est pas tant que le pouvoir change de main, c’est qu’il se partage.
Erwan Hernot, Associé ClavaConsulting, un membre de ScoRH
Comments